Un monologue prétendant être un dialogue entre la narratrice, Anne, et une vieille dame excentrique, Clémence Barrot (est-ce un clin d’oeil même involontaire à Clément Marrot?), voilà ce qu’est Le canapé rouge, de Michèle Lesbre… 138 pages d’introspection entre Moscou et Irkoutsk, entrecoupées de flashbacks dans le salon de Clémence, un livre lu en une heure et dont on ne retire rien.
La narratrice se remémore l’amitié qui la lie à Clémence lors d’un voyage en train vers Irkoutsk et le Lac Baïkal, à la recherche d’un ami, Gyl, qui est aussi un ancien amant, et dont elle n’a plus de nouvelles depuis six mois. Dans le train, elle “rencontre” un certain Igor, une rencontre qui n’en est pas vraiment une, car il n’y a d’autre échange que des regards, et une soupe aux choux qu’Igor offre à Anne par l’intermédiaire du cuisinier du wagon-restaurant. Igor partage la cabine d’Anne avec quatre autres voyageurs et l’interprétation qu’Anne fait de ces quelques jours passés avec Igor dans le même compartiment relève du délire hystérique. Igor serait son “ange gardien”… et elle reconnaîtrait son dos entre des milliers d’autres, car c’est surtout ce dos qu’elle a contemplé pendant les nuits de ce long voyage, le dos d'un Igor endormi sur la couchette faisant face à la sienne. Igor n’apporte rien à l’histoire, si ce n’est une touche anthropologique ou folklorique russe. De même la rencontre qu’Anne fera avec Boris à Irkoutsk est elle aussi une rencontre vide de sens. Le lecteur finit par se dire que si Gyl est parti si loin, en Sibérie profonde, là même où les Décembristes furent exilés par le Tsar en 1825, c’est qu’il voulait s’éloigner le plus possible de la narratrice, de l’ennui qu’elle porte en elle, de l’ennui et surtout du manque de vie, d’envie de vivre. Ce n’est pas une dépression : la narratrice « vit par intermédiaire », au travers des personnes qu’elle croise, au travers des vies de ces personnes, vies qu’elle imagine (Igor, Boris) ou qu’on lui raconte (Clémence).
C’est ainsi que la vie de Clémence est mise en parallèle avec celle de la narratrice. Clémence a vécu un grand amour, Paul, assassiné pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Elle a ensuite connu plusieurs hommes, mais ne s’est jamais mariée. Clémence est une ancienne modiste et l’auteur lui donne un côté “librement-mais-non-officiellement-adapté-de-la vie-de-Coco-Chanel” qui n’échappe pas au lecteur. Anne lui fait la lecture, surtout des portraits de femmes héroïques, Olympe de Gouges, Milena (la muse de Kafka), Marion du Faouët, avec une insistance sur la traversée à la nage de la Moldau par Milena, dans son désir de ne pas être en retard à un rendez-vous amoureux, qui devient clé trop visible de la dernière heure de Clémence, victime de la maladie d'Alzheimer et qui se suicidera, se jettant dans la Seine comme Milena dans la Moldau, avant le retour d’Anne de son artificiel voyage en Sibérie.
Le livre rappelle vaguement celui de Simonetta Greggio, La douceur des hommes, dans ce dialogue entre une femme âgée, un peu hors du commun, qui a aimé et vécu librement, sans attaches conventionnelles, et une femme plus jeune, ou comme Anne à la veille d’entrer dans une maturité stérile (il est trop tard pour avoir les enfants qu’elle ne voulait pas plus jeune), minée par l’anxiété de la vieillesse et de la mort. Cette peur du changement inéluctable de son corps devient un refrain exaspérant et le lecteur a une terrible envie de lui dire : « Assez de pleurnicheries ! Il y a pire que trois rides dans le monde qui nous entoure ! » ; ou, comme Bossuet, la sermonner : « Vanité, vanité, tout n’est que vanité ! ». Tout comme Constance dans La Douceur des Hommes, Anne est une avide voyageuse et mentionne ses divers périples alors même qu’elle est dans le train vers Irkoutsk, mais là s’arrêtent les similitudes. Car le livre de Simonetta Greggio exsude la tendresse alors que celui de Michèle Lesbre se révèle un bréviaire du narcissisme et de l’introspection, un « livre des regrets », une perte de temps pour le lecteur qui se demande encore quels critères ont jugé ces 138 pages dignes d’être publiées…
Est-ce une nouvelle tendance littéraire que cette angoisse de la ménopause par des baby-boomers ayant vécu leur plus belle année en 1968, comme Anne dans Le canapé rouge ? Ou doit-on y voir un rapprochement des générations, le nécessaire dialogue entre femmes enfin renoué, entre celles qui affrontent la vieillesse et la mort en face, avec philosophie, suivant le cliché qu’avec l’âge vient la sagesse et celles qui en ont encore peur ?
October 10, 2009
©Sarah Diligenti for La Plume d'WAA
1 comment:
Sarah so it is clear you dont think these two books are a lot of chuckles!
sonda
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