Wednesday, February 18, 2009

Quand ma patience est mise à l'épreuve... Syngue Sabour Pierre de Patience, Goncourt 2008...

Deux ans de vie dans l’ex-URSS et je pensais avoir développé l’art de la patience et même de l’avoir poussé jusqu’au raffinement, pouvant endurer avec le sourire et sans grincer des dents, non seulement les queues interminables dans les magasins –là-bas ou ici quand on annonce une tempête !-, les grèves en France en novembre 2007 et les non moins longues queues dans le froid glacial –que dis-je ? Sibérien !- pour trouver un taxi –faute de transports en commun !-, mais aussi les mauvaises lectures, celles qui sont mal écrites, vides de sens, celles qui n’apportent rien ou très peu, celles qui prennent le lecteur pour …… (Remplir le blanc avec votre juron préféré), celles qui reçoivent un prix sans l’avoir mérité ou, -pire encore !-, celles qui reçoivent un prix, -mérité ou non- sans avoir la décence d’admettre, de reconnaître, avoir « emprunté », largement et libéralement, consciemment -ou inconsciemment ? On en parle, j’y crois moins…-, à un autre auteur.

Longue tirade qui en dit long sur l’état de ma patience alors que je viens de finir en deux heures (nul besoin de plus !) le dernier Prix Goncourt, Syngue Sabour - Pierre de patience, premier livre écrit en français par Atiq Rahimi, auteur afghan vivant en France depuis 1984.
S’il fait un clin d’œil à Verlaine page 78 « Il pleut. Il pleut sur la ville (…) leurs plaies », le lecteur averti en comprend l’hommage : après tout, Rahimi est un poète, de langue persane. Je ne lui nie ni ses qualités de poète, ni sa tragique épopée personnelle, ni celle encore plus tragique, de son pays d’origine, l’Afghanistan, un pays dont je fis la connaissance au travers des très belles pages du livre de Joseph Kessel, Les Cavaliers, et que je rêve de visiter depuis lors. J’en rêve tant que cela devient une obsession : j’ai pris fait et cause pour la liberté de ce pays depuis 1979, date de l’invasion soviétique, puis pour la liberté et les droits des femmes afghanes ; j’ai pleuré lors de la destruction des Bouddhas et j’ai même cru que justice allait enfin être faite quand, en 2001, les Occidentaux ont décidé d’aller y voir de plus près. Je n’ai évidemment pas manqué la somptueuse exposition dédiée à l’Afghanistan à la National Gallery of Art l’automne dernier et je lis tout ce qui me tombe sous la main sur ce pays : articles, blogs, poèmes et les superbes livres de Khaled Hosseini, The Kite Runner et A Thousand Splendid Suns.

Ce fut donc avec une joie à peine contenue que j’accueillis la remise du Goncourt 2008 à Atiq Rahimi, et que je commençai la lecture de son livre, sans d’autre préjugé que favorable, étant une fervente croyante en l’avenir de la langue de Voltaire grâce à la francophonie élargie, celle d’auteurs non francophones mais ayant fait le choix de la langue française, comme nous l’a si bien prouvé Andrei Makine.

Hélas ! D’originalité, le livre de Rahimi en contient peu ou prou : une certaine forme poétique (c’est un poète), mais dont la contemporanéité poussée à l’extrême, voulant passer pour de la sobriété ou du minimalisme, sert d’excuse à la facilité ; et une histoire de « caille » dans le pantalon du père de la narratrice, qui fait sourire et évoque la phrase que l’on entendait, enfant, -phrase à double sens s’il en est-, lors de la prise de photographies du temps où les appareils n’étaient pas digitaux : « Attention ! Le petit oiseau va sortir ! ».
La principale force de ce roman réside dans sa potentialité théâtrale : toute l’action se passe dans la chambre du mari inconscient, comateux, le reste (sous-sol, cour, rue) est invisible au lecteur, même si mentionné par le narrateur et le personnage principal. Ce livre sera facile à adapter au théâtre. Il rappelle aussi la pièce de théâtre d’Amélie Nothomb sur la guerre, Les combustibles. De ce fait, il aura alors au moins le mérite de mieux servir la cause des femmes afghanes (ou de toutes les autres femmes que la guerre : viols au Congo, en Bosnie, -et j’en passe- et les régimes politiques patriarcaux –d’Arabie Saoudite, du Pakistan, -et j’en passe là encore- détruisent ou soumettent). Mais il faudrait encore que l’auteur reconnaisse les emprunts littéraires qu’il a faits !

Atiq Rahimi a, à mon avis, largement emprunté à Khaled Hosseini . Le portrait qu’il fait du jeune de 16 ans, victime d’abus sexuels se trouve originellement dans The Kite Runner : le fils d’Hassan, Sohrab, devient l’objet du désir et des perversions sexuelles d’Assef, l’homme qui avait violé son père. Rahimi va jusqu’à décrire les bracelets de chevilles à clochettes, les habits de fille, les danses, une reprise presque verbatim d’une des scènes les plus dures du livre de Hosseini.
Quant au monologue de la femme dans le livre de Rahimi, là encore il apparaît comme la synthèse monologuée, et moins bien écrite, de la partie 3 du deuxième livre de Hosseini, A Thousand Splendid Suns. Magistrale écriture que ces chapitres au cœur du livre de Hosseini : chaque chapitre porte le nom de la femme qui parle, Mariam ou Laila, dans un mouvement d’alternance qui recrée l’art du dialogue. Là encore, l’histoire des deux femmes, de leurs souffrances, de leurs péchés aux yeux de la sharia ou de la morale, est reprise et condensée dans le dialogue /monologue qu’a le personnage principal de Pierre de patience avec son mari comateux.

Ajoutons à cela que le registre de langue est d’une facilité qui relève du français basique ou du manuel de conversation pour voyageurs étrangers : présent simple, peu d’imparfait, peu de passé composé et pas de futur ; des phrases elliptiques, tronquées, qui veulent passer pour de la stylistique, mais qui m’ont fait penser à cette autre mauvaise lecture, Julien Parme de Florian Zeller.

Mes soupçons se confirment que le monde de l’édition parisien souffre du syndrome des « victimes de la mode » et veut à tout prix imposer un certain style littéraire au moyen du diktat des critères d’écriture. Chaque maison a son style : P.O.L. ne publiera pas ce que publie Gallimard, et P.O.L se pose comme l’avant-garde face au traditionalisme. Ce même monde littéraire cherche à marcher dans les pas du grand frère américain et trouver l’auteur francophone de la nouvelle niche géographique littéraire en vogue : chacun son Afghan, comme avant chacun son Chinois -Dai SiJie en France, Ha Jin aux US. Et puis, couronner un livre qui ne le mérite pas, surtout si l’auteur est d’un pays en détresse, a l’avantage non négligeable de donner bonne conscience et une image d’altermondialiste. Comment peut-on tomber si bas ?

2 comments:

Jane Singleton Paul said...

Ton commentaire est truffé d'idées, de références littéraires et politiques, et d'analyse percutante. Malheureusement ta critique ne me donne aucunement envie de lire cette oeuvre ni de connaître cet auteur à qui l'on vient pourtant de décerner le prix Goncourt. Mes carences en matière de littérature française sont telles que j'ai certainement mieux à faire que de lire un auteur qui ne fait qu'emprunter à la génie de Khaled Hosseini et qui encore mieux utilise ce que tu appelles un français basique de temps simple et de phrases découpées, ce qui aurait sûrement le don de m'énerver! Dommage, car moi aussi, j'ai une affection toute particulière pour des écrivains qui participent à ce tu appelles la francophonie élargie. Pour l'instant, je retourne donc aux oeuvres d'Amélie Nothomb, et ensuite, il faut quand même que je lise Muriel Barbery!

Geoffrey Fox said...

Thanks for the review. Now I can skip reading this book in good conscience.