Thursday, January 17, 2008

Ames sensibles s'abstenir, Partie 1

Une fois n’est pas coutume, cette revue littéraire sera en français d’abord parce que les livres que je vais évoquer dans cette colonne sont des ouvrages français récents. Leur intitulé ne le laisse pourtant pas supposer et le lecteur est en droit de se demander pourquoi les auteurs ont-ils absolument tenu à leur donner un titre en langue anglaise.

Nous avons ainsi Hell de Lolita Pille, Teen Spirit de Virginie Despentes, le tout récent Prix Goncourt 2007, Alabama Song de Gilles Leroy, et des exemples plus anciens comme Not To Be de Christine Angot, American Vertigo de BHL et Windows on the World de Frédéric Beigbeder.

En ce qui concerne les deux derniers, je ne m’étendrai ni sur leur pédante rivalité, ni sur leurs prétentions philosophico politiques qui rappellent plus les salons des Précieuses Ridicules que les amphithéâtres fréquentés par un Michel Serres ou un Pierre-André Taguieff. BHL est loin d’être Tocqueville même s’il en a fort envie ! Je peux, à la rigueur, me flageller et admettre que Windows on the World se veut un hommage au restaurant du même nom, à son personnel, et aux clients que le hasard fit s’y trouver pour disparaître le 11 septembre 2001 lors de l’attaque contre le World Trade Center…Quel dommage que l’auteur ait, -une fois de plus est une fois de trop dans le cas de Beigbeder -, utilisé cette plateforme littéraire pour contempler son propre nombril lors de petits déjeuners qu’il prenait à la Tour Montparnasse en fantasmant sur les dernières minutes des victimes du 11 septembre !

Alabama Song est en partie excusable par le sujet même, donner voix à Zelda Fitzgerald, le femme de Scott Fitzgerald, auteur de The Great Gatsby, dont le destin tragique s’achèvera six pieds sous terre dans le cimetière de Rockville, celui-là même en haut de Rockville Pike…

Il n’en est pas de même de Lolita Pille et Virginie Despentes. Se laissent-elles manipuler par le jeu des « tendances » qui domine même le langage ? Ont-elle succombé à la pression de leurs éditeurs, eux-mêmes plus à l’écoute du chiffre de vente que de la qualité littéraire d’une œuvre ? Lolita Pille, dont l’autre livre s’appelle Bubble Gum, accumule les anglicismes dès la page d’accroche de Hell : « Je suis un pur produit de la Think Pink generation », écrit-elle, sans se demander si l’étiquette recouvre seulement les jeunes femmes, nouvelles cibles des études de marché, ou quelque chose de plus grave, comme la recherche sur le cancer du sein, par exemple. Il est bien beau de vouloir étendre son savoir, encore faut-il bien le posséder…La sur utilisation, à mauvais escient, de la langue anglaise et de termes qui ont une connotation culturelle précise dans le monde anglo-saxon, ne va de pair, dans ce premier livre de Lolita Pille, qu’avec la sur consommation de drogue dure de ces personnages, (J’ai laissé tomber très rapidement le compte des lignes de cocaïne, et du nombre de fois qu’est conjuguée l’expression « se taper une ligne »). Personnages dont la superficialité, accrocheuse et provocante dès les premières phrases (que je ne vous révèlerai pas), se veut une réécriture contemporaine du très beau, bien que scandaleux en son temps, livre de Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses. La narratrice, Hell, tente de regrouper en une seule personne Cécile (comme la jeune fille séduite par Valmont, elle tombe enceinte et, XXIème siècle oblige, avorte au lieu de faire une fausse couche), la Présidente de Tourvel et la Marquise de Merteuil. Si Hell excelle quelque part, c’est à se montrer au-delà des attentes qu’aurait pu entretenir Choderlos de Laclos pour sa Marquise, mais en moins raffinée. Quant à Valmont, sous les traits d’Andrea di Sanseverini, il paraît bien pâle. Son personnage est peu et mal développé ; il est vrai que l’auteur est une adolescente dont l’expérience de la vie, si elle est un tant soit peu proche de ce qu’elle écrit, n’est qu’une série de sorties mondaines sans autre but qu’ orgies de sexe et de drogue. Rimbaud écrit « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » ; Lolita Pille l’a pris au pied de la lettre. A cela s’ajoutent les escapades pseudo philosophiques qui sentent la classe de terminale et le malaise adolescent, mais un malaise qui date…car recourir aux chansons de Ferré, c’est ce qui se faisait au début des années 80 et encore ! Les emprunts à Baudelaire ne sont pas tous officiellement reconnus : Harmonie du Soir est bien mentionné en fin de livre, mais L’Invitation au Voyage a été oubliée alors qu’au chapitre 11, Andrea raconte : « Ma vie n’est que luxe, calme et volupté », un refrain célèbre que les amateurs du plus grand dandy de la poésie française reconnaîtront…

Teen Spirit de Virginie Despentes est d’un autre acabit : titre anglais certes, mais des personnages hauts en couleurs, même si ce ne sont plus celles du XVIème arrondissement. Le registre de langue, fleuri, rappelle Céline. L’auteur n’en est pas à sa première œuvre et on sent de suite la maturité de celle qui a vécu. Virginie Despentes dérange car elle nous renvoie toutes nos illusions sur la vie et l’amour, n’hésite pas à confesser qu’elle s’est prostituée aux débuts du minitel, et jette un regard proche du désespoir et de l’anarchie sur nos mesquineries quotidiennes. On peut ne pas agréer avec Virginie Despentes et mépriser son style, il n’en demeure pas moins qu’elle est l’image d’un féminisme nouveau, qui s’exprime haut et fort dans son essai King Kong Théorie. Le traitement littéraire de son personnage principal et narrateur, Bruno, est soutenu par les figures de style qu’il pense et prononce, mais cela ne le rend pas forcément sympathique. L’adolescente Nancy nous semble plus authentique que Hell, jusque dans ses comportements extrêmes alliés à un grand besoin de tendresse et d’amour. A la lecture de Teen Spirit, on reprend presque espoir…

Si ces deux livres ont un point en commun, c’est leur côté « littérature de camelote », pour laquelle les faiseurs de tendance utilisent le terme anglais de « littérature trash ». Or, le « trash », qu’est-ce que c’est réellement ? Des ordures, un objet sans aucune valeur, donc de la camelote, dont on peut disposer, c’est-à-dire jeter à la poubelle (« trash can »), au pire, une insulte, surtout s’il est apposé après « white », comme dans « white trash ». Certains prétendent que ce type de littérature n’est que la digne héritière de précurseurs comme Rabelais, Sade, Apollinaire ou Bataille, tout simplement parce que les champs lexicaux du sexe et du corps s’y expriment souvent vulgairement. Pour d’autres encore « trash » est synonyme de « réalité ». Ce qu’il y a de sûr, c’est que le lecteur de Hell peut se sentir souillé au fil des pages d’un tel livre…

© Sarah Diligenti Pickup December 2007

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