Parmi les livres que j’ai lus récemment, il en est quatre qui m’ont surprise par leur traitement à la fois similaire et différent du dialogue.
Le tout dernier livre d’Amélie Nothomb, (la reine du dialogue, s’il en est!),
Le fait du prince, décontenance le lecteur dès la première page. En effet, le premier chapitre est un dialogue, entamé dès la phrase d’accroche, elle-même une répartie, la toute première de ce livre qui abonde à ce point en échanges plus ou moins spirituels, qu’on se croirait au mieux au théâtre…au pire spectateur d’un match de tennis ou de ping-pong. Entendez-moi bien: je suis un aficionado d’Amélie Nothomb que j’ai eue le plaisir d’entendre et de rencontrer à San Francisco en mai 2006; mais alors que je m’apprête à déguster son cru annuel avec une anticipation à peine contenue, je dois avouer que cette année je suis restée sur ma faim. Le dialogue en soi ne m’a pas gênée et l’échange originel sert de point de départ original à une histoire qui mérite une fin moins bâclée, moins rapidement bouclée, et plus dans la lignée un peu surréaliste du reste de l’ouvrage. Ma moisson de citations « nothombiennes » se limite à la phrase retenue par l’éditeur pour la quatrième de couverture: «
Il y a un instant, entre la quinzième et la seizième gorgée de champagne, où tout homme est un aristocrate. » D’ailleurs tout l’intérêt du livre repose sur l’analyse minutieuse que le narrateur fait du champagne: de la cave à champagne, véritable piscine scientifique sur ordinateur, à sa description «
Le champagne est si froid que les bulles ont durci (…). On a l’impression de boire de la poussière de diamants », le lecteur finit par se demander si le but caché de l’auteure n’est pas de le rendre dépendant du champagne bien qu’elle fasse dire au narrateur qu’ «
on ne peut pas être alcoolique en ne buvant que du champagne ».
Simonetta Greggio est Italienne, mais écrit en français. Son livre
La douceur des hommes, est un dialogue dans lequel la narratrice, Constance, écoute plus qu’elle ne parle. Constance recueille les dernières confidences de Fosca, une autre adepte du champagne, vieille dame excentrique dont la vie a tourné autour de cette douceur des hommes qui est le titre de ce roman intimiste. Voyage dans le temps et l’espace et dialogue vont de pair dans ce livre: des multiples vies de Fosca à la vie monotone que Constance connaît jusqu’à sa rencontre avec Fosca, le lecteur traverse les époques (guerres mondiales) et les lieux (Paris, Italie, nouvelles « niches » touristiques), recueillant cette fois une moisson digne de ce nom de mots d’esprit et de vérités bien dites, comme celle-ci qui m’a fait sourire et m’exclamer: «
Les Français sont comme ça! Ils vendraient père et mère pour un bon mot. Ils confondent intelligence et méchanceté, aussi… En même temps, l’art de la conversation, cette courtoisie de l’esprit français, est inéluctablement en train de disparaître ». Or Fosca est italienne, tout comme l’auteur du livre et s’il est une chose que revendiquent les Italiens, c’est bien l’art de «
la bella figura » (le bon mot, la belle figure de style, de rhétorique) comme l’a si bien démontré Beppe Severgnini, auteur de
Ciao America et
La Bella Figura.
Tout le monde a maintenant entendu parler du Prix des Libraires 2007,
L’élégance du hérisson, de Muriel Barbéry. Le Prix des Libraires 2008 rend hommage cette fois encore à une auteure, Delphine de Vigan, pour son quatrième livre,
No et moi. Il y a nombre de similitudes entre ces deux livres. L’un et l’autre ont une narratrice adolescente et surdouée : Paloma chez Muriel Barbéry et Lou chez Delphine de Vigan (Le lecteur se pose d’ailleurs la question de savoir si cette Lou est liée de près ou de loin à l’auteure dans la mesure où l’un de ses premiers livres fut publié sous le nom de plume de Lou Delvig). Mais si Lou est narratrice principale d’un dialogue émouvant entre elle et No (Nolwenn, la jeune SDF : l’abréviation du prénom breton en une négation absolue évoque la devise punk « NO Future »), Paloma n’est que l’une des deux narratrices du très beau livre de Muriel Barbéry, l’autre étant plus âgée (54 ans), mais tout aussi surdouée, «
plus lettrée que tous ces riches suffisants », bien que simple concierge. Le dialogue entre Paloma et Renée est mené sur le terrain de la polyphonie. L’une comme l’autre mène une riche vie intérieure et les écrits de Paloma, apparaissant sous une autre graphie que le roman général, tout comme les réflexions intérieures de Renée, font écho aux réflexions intérieures de Lou. Cependant, Renée dialogue aussi avec son défunt mari, avec son chat, avec Manuela et éventuellement avec Kakuro. Elle nomme toutes les personnes qui illuminent ainsi sa vie «
mes camélias ». Lou développe lentement l’art du dialogue avec autrui, toute traumatisée qu’elle est de sa propre histoire familiale, de la souffrance née du non-dit dans sa famille, et de sa prise de conscience de sa différence intellectuelle. Si Lou s’ouvre au dialogue, si elle surmonte sa peur, c’est grâce à No, la jeune SDF elle-même mise à l’écart du dialogue maternel et familial par des circonstances encore plus dramatiques que celles de Lou.
No et Renée mènent leur participation effective au dialogue de ces deux romans jusqu’à une fin insupportable d’émotion et de tristesse. Je crois bien ne jamais autant avoir pleuré à la lecture d’un livre que lors des 20 dernières pages de
L’élégance du hérisson, ni ne m’être tant remise en cause à la lecture d’un autre qu’avec les perspectives nouvelles que m’a offert
No et Moi.