Comme il a raison, Miller ! Cette seule petite phrase au milieu des centaines de pages de Sexus, ce fut mon épiphanie. Qu’écrire me soit une passion, que tout me pousse à écrire, à des heures indues et n’importe où, que je sente, que j’entende en moi ces milliers de mots, de phrases, d’idées, n’est pas une maladie, mais l’expression de ma volonté subconsciente, prête à exploser si je ne lui donne pas bientôt libre cours, si je n’accorde pas à cette machine qu’est mon cerveau, le temps minimal de liberté créative qu’il réclame en sourdine depuis des années, et depuis quelques mois, presque un an, comme un grondement souterrain, le ronflement que personne n’entend sauf la terre lorsqu’elle sait que le volcan va enfin se réveiller. C’est comme un reflux de mon être intime et profond, enfoui, dompté, non domestiqué, non oublié mais tu, et qui réclame son dû, sa part de vie.
Vocation rejetée, reniée, en souffrance, au bord de l’état d’urgence. Si écrire est ma vocation, alors je veux entrer en écriture, me soumettre aux exigences de la discipline.
Ce qui m’a retenue jusqu’à maintenant, ce sont toutes les velléités qui font la vie quotidienne : travail, et surtout famille. Je ne peux m’abstenir du premier pour les besoins de la seconde, mais comment faire comprendre à ma famille qu’écrire m’est respirer et que m’abstenir d’écrire m’est une torture mentale et physique. Comme je le disais hier encore à quelqu’un qui me comprend un peu plus chaque fois que nous nous voyons, en anglais, parce qu’il est américain : « The state of matrimony does not agree with creativity ».