Ma précédente critique s’en prenait aux nombreux anglicismes qu’arbore la littérature contemporaine française. Titres d’abord, car c’est ce qui accroche le client/lecteur, mais aussi mots disséminés ça et là dans les phrases, au hasard des connaissances que l’auteur a de la langue de Shakespeare (ou de Steinbeck d’ailleurs !) ou victime de pressions extérieures que je ne nommerai pas.
Cette deuxième partie interpelle une autre branche de la littérature française contemporaine, que je nommerai « littérature de la déprime ». Ai-je inconsciemment choisi des livres porteurs de sentiment angoissant parce que c’était le mois de novembre, avec ce qu’il comprend de grisaille et de pluies à Paris, ou parce que les grèves des transports et leurs justifications mesquines minaient mon optimisme habituel ? Je laisse le soin aux différentes écoles de psychanalyse d’en juger…
Deux livres ont retenu mon attention : Le bar des habitudes, de Franz Bartelt et A conserver au frais, d’Isabelle Sojfer. Ils ont en commun d’être des recueils de nouvelles, un genre que j’aime beaucoup mais qui jusque là est resté plutôt négligé par la littérature française, avec l’exception notable de Philippe Delerm (La première gorgée de bière…).
Au-delà du genre, ces deux auteurs partagent aussi un style très pessimiste, cynique, qui a personnellement déprimé l’optimiste que je suis. De « Mauvais rêve » à « Dans le train », en passant par « Un parcours sans fautes », « Tueur en série », « Lili, « Testament d’un homme trop aimé », « Un voisin redoutable » et je ne les cite pas toutes, les nouvelles de Franz Bartelt décrivent des univers parallèles (Dans le train, Mauvais rêve) ou des personnages dont la mesquinerie, la méchanceté et les préjugés (Un voisin redoutable..) ne donnent pas envie de les connaître. Comme on dit en anglais, c’est le genre de lecture qui nous fait ensuite « count our blessings » parce que je suis convaincue qu’il s’est certainement inspiré de la réalité, mais je suis heureuse que ce ne soit pas ma réalité !
Quant à Isabelle Sojfer, elle apporte une certaine nouveauté puisque toutes ses nouvelles sauf deux, sont en fait des réécritures cyniques de contes de fée célèbres, et même de la pièce « King Lear » de Shakespeare (Il y a des auteurs qui ne doutent vraiment pas d’eux-mêmes !). J’avais déjà lu des adaptations politiquement correctes du Chaperon Rouge, des Trois Petits Cochons, de Blanche-Neige, etc., dans le nouveau style « bien pensant » et « chaleureux fraternel » des années 90, ce qui m’avait fait m’interroger sur la valeur initiatique de ce nouveau genre (car, comme l’écrivait Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des Contes de Fées, il est bon pour les enfants de transcender leurs peurs, et c’est à cela que servaient nos contes de fées traditionnels). Le cru « Sojfer », si je peux m’exprimer ainsi, va tout à fait à l’inverse du politiquement correct niais et s’affirme dans la violence, dans le cynisme, et si l’impertinence fait sourire, il faut quand même qu’elle soit accompagnée du talent. « Le roi Lear » peut rester chez lui, Shakespeare n’a rien à craindre, ce n’est pas encore demain qu’il perdra sa place de barde universel au firmament des poètes ! A remarquer d’ailleurs, que les deux historiettes les mieux réussies, surtout au niveau de l’idée, sont « Le don » (rien à voir avec Nabokov) et celle qui a donné son titre au livre, « A conserver au frais ». La première évoque le livre d’Elsa Triolet, Roses à crédit, par la frénésie de consommation du jeune couple qui finit par vendre, membre par membre, organe par organe, la grand-mère de leurs enfants contre espèces sonnantes et trébuchantes…mais que reste-t-il lorsqu’elle a tout donné ? La deuxième consiste en un monologue existentiel intérieur, celui d’un yaourt, justement « à conserver au frais » et ses péripéties, de l’étagère du supermarché à celle du réfrigérateur de son consommateur éventuel. Le yaourt devient le détenu qui compte ses jours dans le couloir des condamnés à mort !
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